………. Suite du témoignage

 

J’ai senti la mer, caressé des cordages, entendu monter la brume et dedans, des épaves au fil de l’eau et qui remontent avec les marées jusqu’aux

rivages et poursuivent leur voyage au milieu des dunes battues par les vents de l’histoire où encore s’enlisent figées pour l’éternité,

le grand passage de la vie vers le néant et la mer qui reprend ce qu’elle a donné.

 

 

Pourquoi j’ai songé à la mort, je ne sais trop et ce n’est rien de péjoratif par rapport aux photos… à la mort, j’y pense souvent,

comme pour apprivoiser le sentiment, la solitude qui conduit à une lumière brumeuse qui domine l’ensemble du choix de tes photos, on devine

toujours comme un chemin unique qui se poursuit de photo en photo et même lorsqu’on ne le voit pas; un chemin tortueux et qui s’enroule sur lui-même et

nous ramène à ce que nous sommes dans toute cette immensité, pas grand-chose, du sable dans l’immensité de la mer. Enfin tout ça n’est pas très clair… voilà,

pour dire que cela remue les intérieurs, le sens profond et la force des émotions qui s’en dégagent.

 

 Ainsi, j’ai installé dans la salle à manger, la photo sur toile offerte par Denis, elle s’oubliait, appuyée sur la corniche des boiseries depuis notre dernière visite à Saint-Fabien.

Je désire la voir sur son mur avant la venue d’Hélène, qu’elle ne pense pas qu’on se traine les pieds avec les cadeaux que l’on reçoit d’eux.

Un simple clou et petit, c’est tout dire de ma profonde paresse. J’ai quand même procédé à un très léger réaménagement, tassant un tableau représentant l’embarquement de Manon l’Escaut

pour laisser la place nécessaire à la toile de Denis toute en longueur. Une très belle photographie, saisit aux Îles-de-la-Madeleine, un petit chalutier retiré de ses eaux probablement

pour toujours et, à présent, naviguant dans les dunes; image qui répond fortement à mes phantasmes maritimes des fantômes de marins perdus en mer, de terribles tempêtes et de multiples

naufrages oubliés, des navires errants à la quête de leur âme et du repos éternel.

 

Il est impossible de savoir si la photo fut prise aux îles et pourtant, pour moi, en la voyant la première fois, il s’agissait d’une évidence. Je ne suis même pas posé

la question et me voyais déjà sur place, sur le pont du navire naviguant sur ces terres de sable, brassées de mers anciennes et de vents d’archives. Des frissons, tout simplement,

me remémorant notre dernier séjour en septembre et octobre 2018, dans cette grande maison trouvée par Pierre-André, un peu perdu dans des dunes, semblables à celles de la photo, justement.

Lieu féérique où, au soleil couchant, la force des ombres se lève du sol ou est-ce le sol qui renifle sa brunante à la rencontre du vent s’infiltrant dans les foins de mer échevelés.

Un renard suit les creux, disparait et réapparait et, au-delà des yeux, la mer encore brillante de bleu où dans son lointain, le mince profil de l’ile du Corps-Mort.

 

La photo me rappelle cruellement tous ces trésors enfouis dans le sable instable de ma mémoire, je suis d’autant plus ému qu’il est fort probable que nous n’y retournerons jamais,

trop de monde à l’affut, de touristes incultes et voraces à la recherche de sensations fortes, de fêtes et de conneries, qui brisent l’harmonie des lieux et brouille la musique de la mer;

ce lieu, à mes yeux mythique, mérite le respect de mon absence et laissons le soin aux hordes affamées, la responsabilité de leur médiocrité et leur propension à détruire ce qu’il reste encore de la beauté du monde.

Cependant, la tentation demeure, peut-être, encore, un jour, les iles en novembre, lorsqu’elles se préparent à l’hiver… les iles en décembre, j’aimerais bien, aussi.

 

Sincèrement

 

Pierre L.